Editeur : Sega Développeur : Sega AM2 Genre : Aventure / Action / RPG Difficulté : Moyenne (1 Niv.) Joueur(s) : 1 Langage : Anglais Date de sortie fr. : 1er Décembre 2000 Terminé par le testeur : Oui
Fin 2000, la Dreamcast n'est pas au mieux avec un Sega au bord du gouffre financièrement. Alors que la firme prévoit de bientôt rendre les armes, elle sort le plus beau de tous ses joyaux.
I will avenge my father
Shenmue, c'est avant tout une longue histoire entre l'oeuvre et son auteur, Yu Suzuki, génie créatif
officiant chez Sega depuis 1983 en tant que programmeur et producteur.
A l'origine de titres aussi mythiques que Out Run, After Burner ou
Virtua Fighter, ce natif d'Iwate commença à écrire le scénario de
Shenmue à la fin des années 80. Faisant évoluer petit à petit son
histoire, il avait prévu au départ de mettre en scène Akira Yuki, héros
de Virtua Fighter, pour un jeu prévu à l'origine sur Saturn. Les années
passent, le titre sort finalement sur Dreamcast, et Yu Suzuki recentre
son histoire sur un héros inconnu : Ryo Hazuki.
Nous sommes en 1986. Ryo, 18ans, rentre chez lui en courant, il sait
qu'il s'y passe quelque chose d'anormal. La voiture noire garée devant
le portail confirme ses craintes et il avance prudemment dans son
jardin. Il y découvre Ine San, sa mère adoptive, mal en point sur le
sol avant que Fuku San, disciple de son père, traverse violement la
porte du
dojo. A l'intérieur de la salle, son père Iwao,
est au prise avec un mystérieux personnage au charisme ravageur. Un
combat s'engage entre les deux, le père de Ryo est dominé et le jeune
garçon tente de s'interposer, mais il est vite calmé par la technique
de
son adversaire. Celui-ci cherche à connaître l'emplacement d'un étrange
miroir qui semble renfermer un secret. Quelques instants plus tard,
l'homme et ses deux sbires se retirent après avoir obtenu ce qu'ils
cherchaient, mais l'échange de coups a été fatal à Iwao Hazuki. C'est
là le début d'une histoire de vengeance qui va lier à jamais Ryo et le
joueur, déjà captivé par ce qu'il vient de voir.
Réalisé avec le moteur du jeu en temps réel,
cette séquence d'introduction est un modèle d'ambiance et de mise en
scène. Musiques, doublage, graphismes, animations et histoire placent
d'entrée la barre très haute. Voilà pourquoi je me rappelle avoir maté
en boucle ce passage dès la sortie du jeu en import (Décembre 99 au
Japon).
La suite, ou plutôt le début du jeu, nous place
au même niveau que Ryo dans son enquête. Nous sommes donc au point de départ,
sans aucun élément en main. Qui était cet homme, pourquoi semblait-il
connaitre si bien son père et quelle est la nature de ce miroir ? Autant de questions qu'il va
falloir poser autour de soi pour essayer de retrouver la trace du
meurtrier. Une petite séquence de réveil difficile, quelques mots
échangés avec Ine San et l'aventure commence. C'est à ce moment là
que l'on prend une claque en pleine tête.
L'action a lieu dans la ville de
Yokozuka au Japon. Cette petite ville s'offre entièrement à nous avec
ses habitants, ses commerces, son facteur, ses animaux abandonnés et ses
voyous. Ce qu'il faut bien comprendre quand on parle de Shenmue, c'est
que ce titre a révolutionné la sensation de liberté dans le jeu vidéo.
Il est LE véritable pionnier des jeux à monde ouvert qui ont suivi
quelques années plus tard et reste inégalé sur bien des points.
C'est simple, à l'exception des besoins alimentaire et d'hygiène, il
est possible de tout faire dans ce soft. Un distributeur de canettes ?
Pourquoi ne pas mettre une petite pièce pour boire un coup. Du lait
chez un marchand, pourquoi ne pas en acheter pour nourrir le chat
recueilli par cette petite fille. Et pourquoi ne pas collectionner
toutes ces petites figurines à l'effigie des personnages de Sega
(Sonic, Alex Kidd...) ? Non, plutôt que de
gaspiller notre argent inutilement, faisons quelques parties de Hang On
ou Space Harrier dans la salle d'arcade où ces deux jeux peuvent être
joués dans leur intégralité.
Ces petits trucs de la vie de tous les jours pourraient paraître
ridicules 10 ans après, mais à l'époque, c'était
simplement du jamais vu. Jamais vu non plus le fait de croiser des
personnages virtuels qui respectent leur emploi du temps selon l'heure
de la journée. Vers 10h, vous croisez le facteur en train de faire sa
tournée. Plus tard le soir, vous tombez sur ce vieillard ivre déambulant
dans les rues. Tous ces gens peuvent être abordés, sans exception.
Certains nous apportent des indices, d'autres nous parlent de la
pluie et du beau temps. Les enfants par exemple, nous demanderont
régulièrement de jouer avec eux au foot quand ils ne sont pas en train
de rentrer de l'école. Si tous ceux là ne vous suffisent pas, vous
pouvez aller taper aux portes de n'importe quelle maison. Gardez
toutefois à l'esprit que comme dans la réalité, les gens enverront
bouler l'inconnu qui frappe à leur porte sans raison. Idem au
téléphone. Entrez dans une cabine et composez un numéro au pif, vous
aurez soit quelqu'un vous répondant que c'est une erreur, soit une
opératrice précisant que ce numéro n'est pas attribué. Plus fort
encore, il faudra travailler pour gagner sa vie dans la deuxième partie
du jeu. On tissera alors quelques liens avec des collègues de travail et certains passages pourraient vous rappeler votre vécu.
Tous ces petits trucs, on les retrouve aujourd'hui dans bien des jeux, tout ça grâce au chef-d'oeuvre de Yu Suzuki.
Mais à part le côté simulation de vie, que fait-on dans Shenmue
niveau
gameplay ? Commençons par préciser que l'on dirige Ryo à la
troisième personne. Il peut marcher, courir, parler, interagir avec
certains éléments du décor et même prendre le bus (pas de voiture ni
vélo pour lui). Le jeune garçon
doit aussi respecter certaines règles. Ine San veut le voir rentrer
avant 23h par exemple. Pour cela, il faut consulter notre montre
régulièrement. L'heure est en effet un élément très important de
Shenmue puisqu'en posant des questions à gauche et à droite, on
obtient l'emploi du temps des personnes susceptibles de nous apporter
de nouveaux éléments. A nous de rejoindre le bon endroit au bon moment
pour avancer dans l'enquête. Il faut d'ailleurs savoir que la
progression n'est pas linéaire. Certaines situations ne se
représenteront plus si on n'est pas là pour y assister le jour J. Si
l'histoire commence en Novembre 86, le calendrier poursuit logiquement son avancée
au fur et à mesure. A priori sans limite, le
titre fait du 15 Avril 87 la date butoir de l'enquête de Ryo. Si le
joueur n'a pas fini le jeu à ce moment là, une séquence de fin
malheureuse se déclenche. Rassurez-vous, il faut vraiment le faire
exprès, le temps est largement suffisant pour finir le jeu sans
stresser.
Vous me direz, le stress ne semble pas être un élément
qui compose l'histoire de Shenmue puisqu'on a uniquement parlé jusque là de phases de
recherche et de quêtes secondaires facultatives. Rassurez-vous, Ryo Hazuki
doit aussi se battre régulièrement. N'imaginez pas que sous prétexte de
liberté totale, on puisse frapper n'importe quel passant dans les rues de
Yokosuka. Yu Suzuki n'a pas cherché à faire du GTA III
avant l'heure. Son oeuvre est beaucoup plus sensible que ça. Les
combats peuvent intervenir par hasard pour sauver une personne en
détresse, mais la plupart sont imposés par le scénario.
En
s'entraînant au dojo ou avec des experts rencontrés par hasard, Ryo
peut apprendre de nouvelles techniques, répertoriées ensuite sur des
parchemins que le joueur peut consulter à tout moment. Se déclenchant
après une petite cut-scene, les affrontements se déroulent dans une
zone délimitée par le décor. On déplace Ryo librement et dispose d'un
panel de coups et de parades suffisamment variés pour rendre le tout
très intéressant en dépit d'un certain manque de dynamisme. Intervient ensuite la marque de fabrique du gameplay de
Shenmue, les QTE.
Cette abréviation, signifiant Quick Time Event, a remis au goût du jour
un concept que l'on n'avait plus vu en jeu vidéo depuis Dragon's Lair. Il
s'agit d'appuyer sur le bouton qui s'affiche soudainement à l'écran
pour déclencher une action contextuelle. Le laps de temps étant de
l'ordre d'une seconde ou deux, le joueur doit être à l'affût. Présent dans les combats, les QTE peuvent surgirent n'importe
où, ne serait-ce que pour éviter un ballon tiré maladroitement par un
enfant au détour d'une rue. Certaines séquences poursuites peuvent aussi leur être entièrement
dédiées. Critiqué à la sortie du jeu car limitant le gameplay à sa plus
simple expression, ce procédé a été injustement pointé du doigt à
l'époque puisqu'il a été repris dans la plupart des grands hits qui ont
suivi. Un soft comme God of War n'aurait peut-être pas eu la même
saveur sans Shenmue. L'équipe d'AM2 avait en effet compris avant tout
le monde que les QTE permettent une mise en scène spectaculaire tout
en gardant le joueur actif. Un véritable plus qui confère aux aventures de Ryo une
classe cinématographique.
La progression de l'histoire est d'ailleurs maîtrisée de bout en bout,
distillant les infos importantes par petites pincées, pour un suspens
haletant. Un suspens qui perdure même à la fin du jeu (après un combat
mémorable contre 70 adversaires) puisqu'il ne s'agit ici que du premier
épisode d'une saga pensée au départ pour tenir en cinq. La suite
c'est donc dans Shenmue 2 que ça se passe.
Culte, unique, sensible, incomparable, génial, vaste et prenant,
Shenmue est une oeuvre à part dans l'histoire du jeu vidéo. Un
chef-d'oeuvre au dessus du lot. Un véritable tournant, pourtant si peu
connu du grand public, qui profitent chaque jour sans le savoir, des
idées avancées par le titre de Yu Suzuki.
GAMELYMETRE 92%
REALISATION
20/20
Tellement
de choses à dire sur ce jeu qu'on n'a pas encore parlé de sa
réalisation somptueuse. Tout est parfait à commencer par des visages
qu'on n'avait jamais vu aussi expressifs dans un jeu vidéo. Les décors
sont magnifiques et le souci du détail inouïe. L'animation est soignée
et oui, il y a quelques très rares ralentissements, mais ce jeu était
tellement en avance sur son temps, qu'on ne peut lui mettre une autre
note. Il fait encore bonne figure 10 ans plus tard.
IMMERSION
19/20
Un
point de départ classique qui renferme pourtant bien des mystères. Plus
que la trame principale dont on obtient trop peu d'informations pour la
juger dans sa globalité, c'est la sensibilité de l'oeuvre et sa mise en
scène qui nous transportent dans ce Japon virtuel.
D'autant que les musiques, composées par quelques grands compositeurs du milieu, sont fabuleuses.
Le doublage anglais est suffisamment réussi pour ne pas trop regretter l'excellence des voix japonaises.
PROGRESSION
19/20
L'aventure
peut se boucler en 10h mais ce serait passer à côté de tout ce qui fait
le charme de cette oeuvre. Le rythme est à la convenance du joueur. Il
peut flâner à sa guise ou se mettre au boulot sérieusement. La
difficulté est progressive, ni trop facile, ni insurmontable.
MANIABILITE
15/20
C'est
le seul élément qui s'éloigne de la perfection. Les déplacements de Ryo
ne sont pas toujours très souples, notamment en combat ou dans les endroits
confinés, et l'interface peut paraître lourde à certains moments. On
est toutefois bien loin d'une maniabilité ratée. On ne s'en plaint
quasiment jamais.
FUN
&
GAMEPLAY
19/20
En
plus des phases de recherches, de combats et de quelques énigmes, on
trouve toute une variété de choses à faire qui donne l'impression
d'évoluer dans la vraie vie. Un gameplay nouveau dû à une liberté
d'action jamais vue. A la fois simulation de vie et jeu d'aventure
passionnant, Shenmue offre des possibilités énormes, pour un plaisir de
jeu immédiat, que chacun apprécie à sa façon.
(Screenshots éditeur)
PLUS LOIN
Hollywoodien jusqu'au bout
Le développement de Shenmue aurait coûté 70 millions de dollars à Sega.
Si il représentait la dernière chance de la firme dans le monde des
constructeurs, il est aussi le jeu qui l'aura définitivement coulé.
Un échec logique
Malgré ses énormes qualités, Shenmue
n'a pas eu le succès estompé au Japon et en Europe. Si il a cartonné
aux Etats-Unis, son échec en France est la conséquence logique d'une
communication inexistante (aucun spot TV) et d'une localisation bâclée
(aucune traduction française).
Auto-promo
Les clins d'oeil à l'univers de Sega sont nombreux. Les développeurs ont même risqué l'anachronisme pour placer chez Ryo cette Saturn, cachée dans un meuble TV. La console est sortie en 94 au Japon et le jeu se déroule en 86-87.